L’opposabilité d’une clause limitative de responsabilité contractuelle à un tiers agissant sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle

L’opposabilité d’une clause limitative de responsabilité contractuelle à un tiers agissant sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle

Published on : 10/10/2024 10 October Oct 10 2024

Dans un récent arrêt du 3 juillet 2024, la Cour de cassation a censuré une cour d’appel ayant refusé de voir appliquer à un tiers au contrat, la limitation de responsabilité prévue dans le contrat, considérant que « le tiers à un contrat qui invoque, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel qui lui a causé un dommage peut se voir opposer les conditions et limites de la responsabilité qui s'appliquent dans les relations entre les contractants » (Cass. com., 3 juillet 2024, n°21-14.947).
 
Cet arrêt s’inscrit dans la ligne directe des jurisprudences permettant aux tiers à un contrat d’invoquer un manquement contractuel sur le fondement de la responsabilité délictuelle, pour réparer le dommage subi du fait de ce manquement ; mais il permet désormais de rassurer les parties à un contrat, sur l’étendue de leur responsabilité vis-à-vis des tiers.
 

L’action d’un tiers qui subit un dommage résultant d’un manquement contractuel, engagée contre un cocontractant sur le fondement de la responsabilité délictuelle

 
La jurisprudence antérieure considérait déjà que le tiers pouvait se prévaloir d’un manquement contractuel pour engager la responsabilité délictuelle d’un cocontractant, si ce manquement lui a causé un dommage.
 
Par dérogation au principe de l’effet relatif des contrats, selon lequel « le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties » et que « les tiers ne peuvent ni demander l’exécution du contrat ni se voir contraints de l’exécuter » (article 1199 du code civil), la Cour de cassation, réunie en Assemblée plénière, avait considéré à l’occasion du désormais célèbre arrêt Boot shop (Cass., ass. plén., 6 oct. 2006, n°05-13.255), que « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ». Cette solution fût réitérée dans un récent arrêt Bois Rouge (Cass., ass. plén., 13 jan. 2020, n°17-19.963).
 
Dès lors, alors que les dispositions de l’article 1240 (anc. art. 1382) du code civil prévoient que la responsabilité délictuelle suppose la réunion d’un dommage, d’un lien de causalité et d’une faute, l’invocation par un tiers au contrat d’un « manquement contractuel » suffit désormais à démontrer la « faute » permettant au tiers d’obtenir réparation de ce manquement (qui lui cause un dommage) sur le fondement de la responsabilité civile extra-contractuelle.
 
Mais cette solution, critiquée par la doctrine, introduisait un déséquilibre entre le créancier de l’obligation et le tiers, dans la mesure où, en vertu du principe de réparation intégrale, le tiers avait alors la possibilité de réclamer la réparation de l’entier préjudice résultant d’un manquement contractuel, tandis qu’un cocontractant invoquant le même manquement sur le fondement de la responsabilité contractuelle restait, lui, limité par ses dispositions contractuelles et notamment par une clause limitative de responsabilité, à l’avantage évident du tiers au contrat.
 

Les « conditions et limites de la responsabilité » découlant du contrat sont opposables aux tiers pour ne pas lui conférer une position plus avantageuse que le cocontractant

 
Dans ce contexte, l’arrêt du 3 juillet 2024 précise que « Pour ne pas déjouer les prévisions du débiteur, qui s’est engagé en considération de l’économie générale du contrat et ne pas conférer au tiers qui invoque le contrat une position plus avantageuse que celle dont peut se prévaloir le créancier lui-même », le tiers invoquant un manquement contractuel sur le fondement de la responsabilité délictuelle « peut se voir opposer les conditions et limites de la responsabilité qui s’appliquent dans les relations entre contractants ».
 
Reste néanmoins une incertitude quant aux clauses contractuelles effectivement concernées par cette jurisprudence. Les « conditions et limites de la responsabilité » visent les clauses limitatives de responsabilité, mais qu’en est-il des clauses pénales ou de prévisibilité du dommage ? Une interprétation large des « conditions et limites de la responsabilité » autorisent à penser que ces clauses pourraient très probablement également être opposables aux tiers. Pourtant, les parties au contrat, selon une jurisprudence établie, ne peuvent restreindre la responsabilité délictuelle, d’ordre public, et donc prévoir à l’avance, par exemple au sein même des clauses limitatives de responsabilité, ce qui s’appliquera ou non aux tiers.
 
Mais qu'en est-il des clauses de compétence ou de droit applicable, dont l'inopposabilité aux tiers les placerait également dans une position plus favorable que le créancier de l'obligation ? Selon la même logique, ces dispositions devraient également être opposables aux tiers. En fait, c'est déjà le cas lorsqu'une action directe est intentée par le sous-acquéreur d’un matériel contre le vendeur initial (bien que cette action soit de nature contractuelle, même si le sous-acquéreur n'a pas signé le contrat initial). Cela peut également être le cas d'une clause d'arbitrage, dont l'effet contraignant peut être étendu à une action en responsabilité délictuelle pour négligence.
 

Le manquement contractuel n’est pas l’unique faute dont peut se prévaloir le tiers

 
La jurisprudence antérieure aux arrêts Boot Shop et Bois rouge ne refusait pas toute action à un tiers victime d’un manquement contractuel, mais exigeait que le tiers démontre l’existence d’une faute « envisagée en elle-même, indépendamment de tout point de vue contractuel » (Cass. 1ère civ., 7 nov. 1962 ; Cass. 2ème civ., 7 fév. 1962 ; Cass. 1ère civ., 23 mai 1978), entendue comme la violation d’un devoir général de prudence et de diligence « détachable du contrat » (Cass. 3ème civ., 17 oct. 1973), pour engager la responsabilité délictuelle d’une partie.
 
Cette jurisprudence retrouverait alors toute son importance grâce à l’arrêt du 3 juillet 2024, qui permettrait alors au tiers, sur le fondement de la responsabilité civile extra-contractuelle :
 
  • Soit de démontrer l’existence d’une faute « détachable » au contrat ; et de ne pas subir les dispositions contractuelles qui pourraient lui être opposées, tout en voyant son entier préjudice réparé ;
  • Soit d’invoquer un manquement contractuel ; et de prendre le risque de se voir opposer certaines clauses du contrat.
 

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