Fautes réciproques de l'agent commercial et de son mandant. Qui gagne ?
Published on :
27/01/2020
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L’agent commercial ou son mandant (agent immobilier) peuvent tous deux rompre leur contrat en invoquant une faute de l’autre partie, mais la mise en œuvre d’une telle rupture est délicate car elle conditionne l’attribution d’une indemnité à l’agent.
L’article L134 12 du Code de commerce reconnait à l’agent commercial un droit à une indemnisation en fin de contrat, dont le montant est en général fixé à deux années de commissions (sur la moyenne des trois dernières années). L’appréciation de l’attribution de l’indemnisation légale dépend très largement de celui qui prend l’initiative de la rupture du contrat. Ainsi est-elle exclue (i) lorsque le mandant met fin au contrat, en prouvant une faute grave de l’agent et, à l’inverse, (ii) lorsque l’agent met fin à son contrat, en ne prouvant pas que cette rupture intervient du fait de circonstances imputables au mandant (art. L134–13).
Or très souvent chaque partie reproche à l’autre un certain nombre de fautes. Le litige tranché par la Cour d’appel de Montpellier le 8 octobre 2019 (n°17/00417) illustre bien la double difficulté qu’ont les deux parties à gérer les fautes qu’elles invoquent et à prendre l’initiative de la rupture et qu’ont les juges à articuler les éventuelles fautes invoquées par les deux parties.
En l’occurrence, un agent commercial avait adressé à son mandant, agent immobilier, un courrier prenant acte de la rupture du contrat notifiée oralement par ce dernier, et invoquant en sus un certain nombre de fautes commises par le mandant lors de l’exécution du contrat (modification des codes d’accès au site SeLoger.com, violation de l’exclusivité sur certaines affaires, factures non réglées, etc.).
La Cour a d’abord relevé qu’il n’y a aucune preuve matérielle d’une résiliation notifiée oralement par le mandant, et en déduit, logiquement en droit, que la lettre de l’agent vaut rupture du contrat à son initiative. En conséquence, l’agent commercial, pour prétendre à une indemnité, devait prouver la réalité des circonstances imputables au mandant mentionnées dans sa lettre ; tel était manifestement le cas, le mandant ayant commis certaines fautes, telles que le non-paiement de factures de commissions. Tout cela est assez classique.
Mais le mandant faisait aussi état de plusieurs fautes graves de l’agent justifiant, selon lui, non seulement l’exclusion de l’indemnité mais aussi l’allocation de dommages-intérêts réparant son préjudice. Or, aucune de ces deux prétentions n’est accueillie par les juges.
Tout d’abord, pour écarter les fautes graves invoquées en défense par le mandant pour nier le droit à indemnité, la Cour pose une sorte de présomption automatique de non gravité du seul fait que le mandant n’a fait état de celles-ci qu’en réplique à la demande judiciaire de l’agent. Cela est critiquable en droit mais aussi regrettable en fait car l’agent immobilier semblait avoir un dossier sérieux : mécontentement de clients, réalisation d’estimations à son insu, tenue irrégulière du registre des mandats, et surtout peut-être, parution d’annonces sans mandat de vente écrit.
Par ailleurs, pour refuser au mandant des dommages-intérêts réparant le préjudice subi en raison des fautes de l’agent, la Cour se contente de relever que « la reconnaissance de circonstances imputables à l’agence immobilière justifiant la rupture du contrat d’agence aux torts de celle-ci, conduit nécessairement au rejet de ses demandes reconventionnelles en paiement de dommages-intérêts ». Mais déduire de l’existence de circonstances imputables au mandant, l’absence automatique de faute commise par l’agent est critiquable : la réalité d’une faute commise par l’un n’exclut pas la réalité d’une faute de l’autre. L’usage par la Cour de l’adverbe « nécessairement » laisse d’ailleurs songeur…
Si cette décision apparaît non justifiée à l’égard du mandant, agent immobilier, elle montre surtout que celui-ci aurait dû gérer plus sérieusement, au plan temporel et documentaire, la dénonciation des fautes graves reprochées à son agent et la résiliation du contrat. Cela implique une gestion fine et complexe du précontentieux pour éviter de lourdes condamnations pécuniaires.
Outre la non application du statut légal quand les conditions ne sont pas réunies (un arrêt de la CJUE est d’ailleurs attendu en 2020 sur ce point), les agents immobiliers, mandants, ont donc deux possibilités (éventuellement cumulées) d’échapper à l’indemnité de fin de contrat de l’agent commercial : en invoquant en défense une faute grave exclusive d’indemnité et (ou, a minima), en présentant une demande reconventionnelle au titre de fautes (même non graves) réparées par l’allocation de dommages-intérêts se compensant, en tout ou partie, avec l’indemnité éventuellement due à l’agent commercial.
Christophe Héry, avocat associé
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