Abus de position dominante, dénigrement et discours trompeurs : la désinformation sanctionnée (Actualité Distribution / Concurrence, par Christophe Héry et Claire Burlin, sept. 2020)

Abus de position dominante, dénigrement et discours trompeurs : la désinformation sanctionnée (Actualité Distribution / Concurrence, par Christophe Héry et Claire Burlin, sept. 2020)

Published on : 01/10/2020 01 October Oct 10 2020

La désinformation menée par une ou plusieurs entreprise(s) peut prendre plusieurs formes, s’adresser aux consommateurs, clients, prescripteurs ou autorités publiques, et viser l’image des concurrents ou leurs produits ou services. Elle peut être, selon les cas, sanctionnée sur le fondement du droit de la concurrence, du droit de la presse ou du droit de la concurrence déloyale.

Le 9 septembre 2020, l’Autorité de la concurrence (l’AdlC) a une nouvelle fois rappelé, dans une affaire particulière, que le dénigrement ou la désinformation peut constituer un abus de position dominante en condamnant Novartis, Roche et Genentech au paiement d’une amende de 444 millions d’euros. (Voir la décision de l’AdlC 20-D-11 ici).

En substance, l’AdlC a constaté que les trois laboratoires ont tenté de freiner l’usage de l’Avastin (produit par Genentech) dans le cadre du traitement de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) car ce produit, qui était initialement un anticancéreux, s’est révélé être une alternative efficace et beaucoup moins couteuse que le Lucentis, également produit et commercialisé par ces laboratoires. Ainsi, freiner l’usage de l’Avastin au profit du Lucentis leur permettait de maintenir un prix artificiellement élevé de ce médicament sur le marché de la DMLA.

L’AdlC a d’abord retenu que Novartis, Roche et Genentech formaient une entité collective pour les besoins de la commercialisation des deux médicaments (Lucentis et Avastin), détenant une position dominante sur le marché du traitement de la DMLA compte tenu de l’existence de liens structurels importants et stratégiques entre les laboratoires (en particulier les contrats de licence liant Genentech et Novartis, pour la commercialisation de Lucentis, et Genentech et Roche, pour la commercialisation d’Avastin) et de l’existence de liens capitalistiques croisés.

Ensuite, elle a identifié des pratiques de dénigrement et de désinformation de ce traitement auprès du monde médical (spécialement les Key Opinion Leaders) ainsi que des discours alarmistes et trompeurs auprès des autorités publiques afin de bloquer leurs initiatives visant à sécuriser son usage hors autorisation de mise sur le marché pour le traitement de la DMLA. 

Enfin, l’AdlC n’a pas manqué de relever, au stade de la sanction, que ces pratiques sont intervenues dans un contexte de débat public sur le prix extrêmement élevé de Lucentis et sur son impact sur les finances sociales, alors que l’Avastin, nettement moins cher, était susceptible d’être utilisé 

Si ces pratiques ont été mises en œuvre par trois laboratoires contre un traitement produit et commercialisé par eux-mêmes, l’abus de position dominante peut être plus classiquement établi lorsqu’un laboratoire en position dominante dénigre les spécialités ou dispositifs d’un concurrent. 

A titre d’exemple, dans l’affaire du « Plavix », la Cour de cassation a confirmé la condamnation du laboratoire Sanofi Aventis pour avoir diffusé une communication large et structurée auprès des professionnels de santé visant à dénigrer les produits concurrents génériques. Les similitudes entre les affaires restent limitées car le laboratoire Sanofi Aventis a été condamné alors même que l’information portant sur les différences entre les génériques concurrents et le Plavix qu’elle commercialisait était exacte (Cass. Com. 18 décembre 2014, n° 2013/12370).

Cette décision est également l’occasion de rappeler que, plus largement, le droit pose des limites à la critique d’un concurrent. 

Ainsi, le fait de critiquer une société (ou ses dirigeants) en leur imputant des faits précis (tel que corruption, non-respect d’une réglementation, fraude, etc.) ne peut être sanctionné que sur le fondement de la diffamation prévue par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, tandis que le fait de critiquer un produit ou un service d’un commerçant ne peut être sanctionné que sur le fondement d’une action en concurrence déloyale par dénigrement, même en l’absence d’une situation de concurrence directe et effective (Cass. Com. 26 septembre 2018, n° 17/15.502 ; Cass. Com. 19 janvier 2019, n° 17/18.350 ; Cass. Com. 13 mars 2019, n° 18/11.046)) (Voir notre article ici).
 

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