RÉSEAU DE DISTRIBUTION ET RESTRICTIONS DES VENTES SUR INTERNET

RÉSEAU DE DISTRIBUTION ET RESTRICTIONS DES VENTES SUR INTERNET

Published on : 29/01/2024 29 January Jan 01 2024

Après avoir condamné Mariage Frères (Décision du 11 décembre 2023, n°23-D-12) à une amende de 4 millions d'euros pour entente visant à interdire la vente en ligne par ses revendeurs, l’Autorité de la concurrence (l’AdlC) a condamné quelques jours plus tard (Décision du 19 décembre 2023, n°23-D-13) Rolex à une amende de 91,6 millions d’euros pour une pratique similaire, visant à interdire la vente en ligne de ses montres aux distributeurs de son réseau de distribution sélective.
 

Éléments clés à retenir


Dans le cadre de la revente de ses produits sur internet par ses distributeurs, le fournisseur ne peut pas :
  • stipuler des clauses dans ses conditions générales de vente, ou tout autre document contractuel visant à interdire de manière absolue la revente des produits par le distributeur sur son propre site internet ;
  • leur imposer des prix de revente.

Toutefois, le fournisseur peut encadrer la revente de ses produits par ses distributeurs sur leur site internet :
  • en stipulant des critères qualitatifs d’usage du site web des distributeurs ;
  • en interdisant le recours à des plateformes tierces (market place) lorsque ce sont des produits de luxe (jurisprudence Coty) ou de haute technicité (Décision AdlC, Stihl, 24 10 18, n°18-D-23) dans des réseaux de distribution sélective, ou « haut de gamme » (Décision AdlC, Thé Damman Frères, 03 12 20, n°20-D-20) ;
  • en pratiquant une politique tarifaire différenciée, (« prix dual »), selon la vente en ligne et hors ligne, sous réserve qu’une telle différenciation des prix (i) incite ou récompense le niveau d’investissement du distributeur sur le canal considéré, et (ii) n’ait pas pour objet ou effet de priver le distributeur de la possibilité de vendre les produits sur internet.
 

Une restriction de concurrence par objet, lourdement sanctionnée


L’interdiction de revente en ligne imposée à un distributeur par un fournisseur, restreint le territoire sur lequel, ou la clientèle à laquelle, les biens ou services contractuels peuvent être revendus et constitue à ce titre une restriction de concurrence par objet, qualifiée de restriction caractérisée (art. 4. e) du Règlement (UE) n°2022/720 de la Commission du 10 mai 2022, relatif aux « restrictions verticales »).

Le montant de l’amende administrative infligée par l’AdlC peut s’élever jusqu’à 10% du chiffre d’affaires annuel mondial du groupe ou de l’entreprise (article L.464-2, I du Code de commerce).
 
  • Stihl s’est vu infligé une amende de 7 millions d’euros (2018) ;
  • Dammann Frères a été condamné à une amende de 226 mille euros (2020) ;
  • Mariage Frères a été condamné à hauteur de 4 millions d’euros (2023) ;
  • Rolex a été sanctionné à hauteur de 91,6 millions d’euros (2023).
 

Mariage Frères et Rolex sont sanctionnés pour avoir illicitement imposé une interdiction de revente en ligne à leurs distributeurs


Le groupe Mariage Frères est condamné pour avoir notamment interdit à ses distributeurs de revendre les produits de sa marque sur internet, par le biais d’une clause de ses conditions générales de vente stipulant que :
« La revente de produits Mariage Frères sur Internet et sur d’autres réseaux fait l’objet d’un contrat séparé (…). L’obtention d’un accord de revente de produits Mariage Frères sur un point de vente individuel ne donne pas droit à la mise en place et à la revente de ces mêmes produits dans un autre point de vente individuel ».

Selon l’AdlC, cette clause assimilait le site internet des distributeurs à un point de vente individuel distinct, dont l’ouverture nécessitait l’autorisation de Mariage Frère et imposait la conclusion d’un contrat séparé (or, aucun contrat de vente en ligne n’a été conclu), ce qui « constitue une restriction de concurrence comparable à une interdiction absolue de nature explicite ».

Mariage Frères a tenté de justifier cette interdiction, par la nécessité de préserver l'image de prestige de ses produits. Cependant l’AdlC n’a pas suivi cette argumentation aux motifs que selon la jurisprudence Coty, « la clause contractuelle conférant au fournisseur la possibilité d’encadrer la vente en ligne de ses produits doit avoir une justification objective et proportionnée au regard de l’objectif poursuivi, telle que « préserver l’image de luxe et de prestige des produits concernés » dans le cadre d’un système de distribution sélective, et doit être appliquée d’une façon non discriminatoire, sans toutefois interdire « de manière absolue aux distributeurs agréés de vendre sur Internet les produits contractuels ». L’AdlC a donc considéré en l’espèce que « les critères jurisprudentiels (…) ne sont pas réunis, en l’absence notamment de système de distribution sélective »

Rolex a été condamné pour avoir interdit à ses distributeurs agréés, dans ses contrats de distribution sélective, « toute vente hors de l'établissement de vente ou par correspondance (…) ».
L’AdlC a considéré que cette clause s’analysait en une interdiction générale et absolue faite aux distributeurs d’un réseau de distribution sélective de vendre par Internet et qu’elle constituait une restriction de concurrence par objet à la lumière du contexte économique et juridique dans lequel elle s’inscrivait.

Rolex soutenait que cette interdiction était justifiée notamment par des objectifs consistant à garantir aux consommateurs un environnement d’achat satisfaisant, à lutter contre la contrefaçon et les réseaux parallèles et à préserver l’image de la marque Rolex, en particulier lors de l’envoi à distance des produits. L’AdlC a examiné ces justifications et rappelé sa pratique décisionnelle, selon laquelle les interdictions générales et absolues faites aux distributeurs d’un réseau de distribution sélective de vendre par Internet ne sont pas justifiées, ni proportionnées à la poursuite d’un objectif légitime, et que des alternatives moins restrictives doivent être envisagées.
L’AdlC a donc estimé « qu’aucun des éléments recueillis dans le cadre de l’instruction ne justifie de s’écarter de cette pratique décisionnelle et de cette jurisprudence constante, dans la mesure où des alternatives moins restrictives étaient envisageables ».


Mise en perspective de l’interdiction de vente en ligne dans les réseaux de distribution


En matière de distribution sélective : Le fournisseur ne peut pas :
  • insérer des clauses dans ses conditions générales de vente, ou tout autre document contractuel visant à interdire ou restreindre la revente des produits par le distributeur, sur son propre site internet ;
  • interdire à ses distributeurs de faire de la publicité en ligne ;
  • restreindre les ventes actives et passives de ses distributeurs (détaillants) à des utilisateurs finals. Toutefois, le fournisseur peut encadrer la revente de ses produits et notamment :
  • imposer aux distributeurs des normes de qualité pour l’utilisation de leur site internet, tel que l’exigence de disposer d’un ou plusieurs points de vente physiques ou des critères qualitatifs tenant par exemple à la charte graphique et la qualité technique de leur site internet ;
  • interdire à ses distributeurs de revendre les produits sur des plateformes tierces, si une telle interdiction est nécessaire à l’objectif poursuivi (image de marque, sécurité des consommateurs) et est appliquée de manière uniforme et non discriminatoire ;
  • interdire à ses distributeurs agréés de revendre les produits hors du réseau ;
  • restreindre les ventes aux utilisateurs finaux lorsque le distributeur est un grossiste. En matière de distribution exclusive : Le fournisseur ne peut pas :
  • insérer des clauses dans ses conditions générales de ventes ou tout autre document contractuel visant à interdire ou restreindre la revente en ligne des produits par le distributeur, sur son propre site internet ;
  • interdire les reventes sur les plateformes tierces (sous réserve de l’exception de la décision Thé Damman Frères) ;
  • interdire les reventes en ligne (passives, sollicitées par un client) des produits à un client situé en dehors de son territoire, ni imposer des mesures de geoblocking sur son site internet.

    Toutefois, il peut :

  • interdire à ses distributeurs de procéder à des ventes actives de produits à un client situé hors de son territoire, si ce client est situé sur le territoire exclusif d’un autre distributeur (dans la limite de 5 distributeurs) ou si le fournisseur s’est réservé ce territoire ;
  • insérer une clause visant à limiter le ciblage actif par un distributeur, par internet, à des clients situés sur le territoire exclusif d’un autre distributeur.
 

L’assistance d’Altaïr Avocats

 
  • Rédaction et négociation des conditions générales de ventes servant à établir le socle de la relation commerciale et la politique tarifaire du fournisseur.
  • Mise en œuvre de la documentation contractuelle d’un réseau de distribution simple, exclusive ou sélective.
  • Audit des pratiques de distribution de vente en ligne.
  • Accompagnement et conseils dans le choix puis la mise en place du réseau de distribution.
  • Contentieux de la violation du réseau de distribution exclusive ou sélective.
 

Par l’équipe Droit Économique d’Altaïr Avocats - Janvier 2024 - Christophe HERY (associé) et Mégane BOUSSEREAU (collaboratrice).

 

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